Rosemonde
Roland Barett Scelso
Rosemonde est un recueil de trois nouvelles parues au courant de l’été 2011.
Une charmante vieille dame qui fait des rêves prémonitoires… Un cadre supérieur en proie au démon de midi… Un emmerdeur assermenté qui fait capoter une expérience scientifique…
Trois récits et quelques personnages… Petits destins croqués d’un allant débonnaire à coups de pinceaux à la fois facétieux, tendres et féroces…
Publié en 2011 chez Ossobuco
154 pages
CHF 15.– / € 15.–
154 pages
CHF 15.– / € 15.–
Extraits
La revanche de M. Lompe
Le blatèrement rauque d’un chameau lui fit tourner la tête. Par la baie vitrée, on voyait la médina, l’étagement des maisons, l’animation grouillante du soir à l’entrée de la ville.
Envisager une aventure avec une fille du lieu était hors de question. Voilées de la tête au pieds, les femmes de l’oasis ne laissaient entrevoir d’elles qu’un seul oeil enchâssé au milieu des fronces de leur homri et les rigoureuses coutumes religieuses, dont ce comportement vestimentaire propre à l’endroit n’était que l’exemple le plus apparent, excluaient toute opportunité classique.
Parmi le personnel de l’hôtel, il y avait bien une ou deux jeunes employées dont le contact avec les moeurs dissolues des fonctionnaires du Nord aurait pu l’inciter à tenter sa chance − il avait remarqué la petite Djamila, qui était habillée à l’occidentale et qu’il avait surprise plusieurs fois à lancer des oeillades dévergondées à certains clients − mais depuis trois ans qu’il revenait périodiquement en cet endroit, intimement habité par la crainte maladive d’essuyer un refus, il n’avait jamais osé se mettre à découvert.
Monsieur Lompe avait vidé son verre. S’étant résolu à rejoindre sa table, il écrasa son mégot dans le cendrier et pivota pour descendre de son siège quand on entendit résonner des pas dans l’escalier qui descendait des étages. Instinctivement, il avait suspendu son geste et fut sur le qui-vive. Chevauchant le bruit mat et traînant de sandales molles, on distinguait le martèlement sec de chaussures à talons. Tapotant de ses doigts le bord de son feutre et reprenant son verre vide pour se donner une contenance, il resta adossé au bar, les yeux arrondis comme des billes braqués sur l’entrée de la salle.
Un homme parut d'abord au bas de l'escalier, un type entre deux âges, petit et corpulent avec à son côté une gamine en sandales qui devait être sa fille. Puis la femme entra derrière lui. Petite, charnue, des cheveux longs et épais d'un roux flamboyant tombant sur des épaules largement dénudées, elle serrait négligemment contre elle un petit sac en crocodile. Ses talons claquaient sur le marbre du sol avec un bruit clair et sa robe blanche et légère flottait dans l'air lourd et s'enroulait avec volupté autour de ses cuisses à chacun de ses pas.
Les trois Arabes avaient cessé de parler et l'inspecteur, le souffle suspendu, l'avait talonnée du regard. Elle traversa le hall dans le rebondissement saccadé et sensuel de ses rondeurs plantureuses tandis que la fragrance d'un parfum capiteux se répandit dans toute la pièce, couvrant le débordement des cuisines.
...
Envisager une aventure avec une fille du lieu était hors de question. Voilées de la tête au pieds, les femmes de l’oasis ne laissaient entrevoir d’elles qu’un seul oeil enchâssé au milieu des fronces de leur homri et les rigoureuses coutumes religieuses, dont ce comportement vestimentaire propre à l’endroit n’était que l’exemple le plus apparent, excluaient toute opportunité classique.
Parmi le personnel de l’hôtel, il y avait bien une ou deux jeunes employées dont le contact avec les moeurs dissolues des fonctionnaires du Nord aurait pu l’inciter à tenter sa chance − il avait remarqué la petite Djamila, qui était habillée à l’occidentale et qu’il avait surprise plusieurs fois à lancer des oeillades dévergondées à certains clients − mais depuis trois ans qu’il revenait périodiquement en cet endroit, intimement habité par la crainte maladive d’essuyer un refus, il n’avait jamais osé se mettre à découvert.
Monsieur Lompe avait vidé son verre. S’étant résolu à rejoindre sa table, il écrasa son mégot dans le cendrier et pivota pour descendre de son siège quand on entendit résonner des pas dans l’escalier qui descendait des étages. Instinctivement, il avait suspendu son geste et fut sur le qui-vive. Chevauchant le bruit mat et traînant de sandales molles, on distinguait le martèlement sec de chaussures à talons. Tapotant de ses doigts le bord de son feutre et reprenant son verre vide pour se donner une contenance, il resta adossé au bar, les yeux arrondis comme des billes braqués sur l’entrée de la salle.
Un homme parut d'abord au bas de l'escalier, un type entre deux âges, petit et corpulent avec à son côté une gamine en sandales qui devait être sa fille. Puis la femme entra derrière lui. Petite, charnue, des cheveux longs et épais d'un roux flamboyant tombant sur des épaules largement dénudées, elle serrait négligemment contre elle un petit sac en crocodile. Ses talons claquaient sur le marbre du sol avec un bruit clair et sa robe blanche et légère flottait dans l'air lourd et s'enroulait avec volupté autour de ses cuisses à chacun de ses pas.
Les trois Arabes avaient cessé de parler et l'inspecteur, le souffle suspendu, l'avait talonnée du regard. Elle traversa le hall dans le rebondissement saccadé et sensuel de ses rondeurs plantureuses tandis que la fragrance d'un parfum capiteux se répandit dans toute la pièce, couvrant le débordement des cuisines.
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La revanche de M. Lompe, 69 pages
***
Rosemonde
Rosemonde s'était réveillée en sursaut.
— Une dent de devant ! C'était une dent de devant ! balbutia-t-elle en se redressant brusque-ment. Et avec du sang !
Toute remuée d'émotion, d’une main, elle cherchait à tâtons l’interrupteur de sa lampe de chevet tandis que de l’autre, par un réflexe qu’elle ne put contenir, elle fouillait fébrilement sa bouche pour vérifier si du sang ne tacherait pas réellement ses doigts.
Ses oreilles bourdonnaient, les tympans encore vrillés par un son puissant, comme une trompette qui aurait résonné tout près d’elle.
Chose inaccoutumée, elle était en sueur. Il lui semblait que le cauchemar avait été interminable, qu’il l'avait poursuivie dans son sommeil toute la nuit. Elle avait encore si bien à la bouche la tiédeur gluante et douceâtre du sang que, même s’il n’y avait aucune trace physique du rêve, elle se leva rapidement, enfilant ses vieilles pantoufles sagement rangées la veille au pied du lit, et fila tout droit à petits pas encore engourdis vers l'évier de la cuisine se rincer la bouche à grande eau tout en se demandant fébrilement de qui ç'avait pu être le tour.
Son intuition ne l'avait jamais trompée, Rosemonde. Toujours elle avait pressenti la disparition de ceux qui lui étaient chers. Un rêve qui lui revenait − toujours le même − pendant la nuit ou au cours de la petite sieste qu'elle s'octroyait quotidiennement à peine rangée la vaisselle de midi : une dent qui se déchaussait et qui lui tombait dans la bouche.
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— Une dent de devant ! C'était une dent de devant ! balbutia-t-elle en se redressant brusque-ment. Et avec du sang !
Toute remuée d'émotion, d’une main, elle cherchait à tâtons l’interrupteur de sa lampe de chevet tandis que de l’autre, par un réflexe qu’elle ne put contenir, elle fouillait fébrilement sa bouche pour vérifier si du sang ne tacherait pas réellement ses doigts.
Ses oreilles bourdonnaient, les tympans encore vrillés par un son puissant, comme une trompette qui aurait résonné tout près d’elle.
Chose inaccoutumée, elle était en sueur. Il lui semblait que le cauchemar avait été interminable, qu’il l'avait poursuivie dans son sommeil toute la nuit. Elle avait encore si bien à la bouche la tiédeur gluante et douceâtre du sang que, même s’il n’y avait aucune trace physique du rêve, elle se leva rapidement, enfilant ses vieilles pantoufles sagement rangées la veille au pied du lit, et fila tout droit à petits pas encore engourdis vers l'évier de la cuisine se rincer la bouche à grande eau tout en se demandant fébrilement de qui ç'avait pu être le tour.
Son intuition ne l'avait jamais trompée, Rosemonde. Toujours elle avait pressenti la disparition de ceux qui lui étaient chers. Un rêve qui lui revenait − toujours le même − pendant la nuit ou au cours de la petite sieste qu'elle s'octroyait quotidiennement à peine rangée la vaisselle de midi : une dent qui se déchaussait et qui lui tombait dans la bouche.
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Rosemonde, 20 pages
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Le casse-piedsLes amis arrivaient les uns après les autres. On se garait sur un champ aménagé en parking hors de la propriété. Ou alors c'était un taxi qui s'arrêtait devant le grand portail.
Chaque année, au début de l'été, les retraités de l'Independent Parapsychology Institute avaient coutume de se retrouver avec leur conjoint chez l'un ou chez l'autre de leurs anciens confrères pour une partie de campagne. Ce rendez-vous annuel servait également de prétexte à explorer un sujet intéressant, histoire − comme ils le disaient joyeusement − de garder la forme. Chacun alors quand c'était son tour, mettait un point d'honneur à imaginer l'exercice le plus original, celui dont on parlerait encore les années suivantes.
Cette fois ils avaient convenu de se retrouver chez Edmond et Violaine Desmourins, nouvellement installés dans une charmante région du centre de la Dordogne et l'invité-surprise, comme annoncé sur le carton d’invitation, serait un professeur Indien, doyen de l'Université d’Anantapur.
Edmond, la cinquantaine, une belle chevelure blanche et légère, était un homme des plus charmants et des plus enthousiastes.
— J’ai pas lésiné, les amis ! Je vous ai concocté une petite expérience de derrière les fagots ! promettait l'amphitryon à ceux qui l'interrogeaient, mais cachottier, il restait discret sur le détail.
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Chaque année, au début de l'été, les retraités de l'Independent Parapsychology Institute avaient coutume de se retrouver avec leur conjoint chez l'un ou chez l'autre de leurs anciens confrères pour une partie de campagne. Ce rendez-vous annuel servait également de prétexte à explorer un sujet intéressant, histoire − comme ils le disaient joyeusement − de garder la forme. Chacun alors quand c'était son tour, mettait un point d'honneur à imaginer l'exercice le plus original, celui dont on parlerait encore les années suivantes.
Cette fois ils avaient convenu de se retrouver chez Edmond et Violaine Desmourins, nouvellement installés dans une charmante région du centre de la Dordogne et l'invité-surprise, comme annoncé sur le carton d’invitation, serait un professeur Indien, doyen de l'Université d’Anantapur.
Edmond, la cinquantaine, une belle chevelure blanche et légère, était un homme des plus charmants et des plus enthousiastes.
— J’ai pas lésiné, les amis ! Je vous ai concocté une petite expérience de derrière les fagots ! promettait l'amphitryon à ceux qui l'interrogeaient, mais cachottier, il restait discret sur le détail.
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Le casse-pieds, 52 pages
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